A la Croisée de l'Anjou, de la Touraine et du Poitou
Les Fontaines
décrites par Salmon Macrin
Jean-Claude Raymond Fernande Germain
Table des matières
Le poète en des jours impies
Il est l'homme des utopies ;
Les pieds ici, les yeux ailleurs.
C'est lui qui sur toutes les têtes,
En tous temps, pareil aux prophètes,
Dans sa main, où tout peut tenir,
Soit qu'on l'insulte ou qu'on le loue,
Comme une torche qu'il secoue,
Faire flamboyer l'avenir !
Telle est la fonction du poète énoncée par Victor Hugo dans La Fonction du poète in Les Rayons et les Ombres. Mais, les écrits des poètes peuvent aussi nous rappeler le passé. Il en est ainsi de Salmon Macrin, poète loudunais (1490-1557), qui a fréquenté et décrit quelques sources des environs de Loudun. La lecture de ses poèmes, nous laissent imaginer sans peine de frais ombrages, une eau claire et bruissante. Nous avons voulu retrouver la Fontaine verte ou Fontaine des Prés qu’il situe à Saint-Laon, la Fontaine blanche et bien sûr la Fontaine Brisseau qui se trouvent à Loudun. Nous avons retrouvé assez facilement les lieux indiqués par le poète. Pouvions-nous retrouver des paysages rappelant ceux qu’il avait vus ? Allions-nous pouvoir retrouver des émotions semblables ?
Nous ne nous attendions pas à retrouver les fontaines ou sources telles qu’elles étaient à l’époque de Salmon Macrin. Même en l’absence de l’intervention directe des hommes, les paysages changent. Toutefois, nous pouvions espérer retrouver quelque filet d’eau. Nous dûmes constater que ces sources n’étaient plus visibles.
J'ai
déjà vécu la disparition de La
Mare au
Diable décrite par George
Sand. Elle aussi a
été comblée par un nouveau
propriétaire. Pour peu que quelques haies et arbres soient
abattus, le paysage n’aura plus rien à voir avec
celui que j’ai visité avec mon père et
qui évoquait encore le roman de Georges Sand. Cette
disparition, celle des fontaines, que je n’ai jamais connues,
sont pour moi une sorte de déchirement. Je ne peux en parler
sans mélancolie.
Le chant de la cloche s’est tu.
Alors mon cœur devint affligé de silence et de solitude.
Le chant de la fontaine s'est tu. alors mon cœur… Hilaire Bouzon décrit bien ce sentiment dans Stèles brisées ou la Bretèche de Villiers-Sainte-Radegonde. Le temps passe les choses s’effacent. Si nos sociétés font des efforts pour conserver les grands monuments, elles sont totalement insensibles aux petites choses. Heureusement, qu’il existe les poètes pour en garder la mémoire, et aujourd’hui, autres doux rêveurs qui écrivent, photographient et conservent, au moins pour quelques temps encore, un peu de notre temps présent : lutte inégale contre l’oubli et la mort.
Le vallon du Martiel, rivière qui longe la façade ouest de Loudun se trouve à une altitude d'environ 70 mètres. La ville est donnée à 88 mètres et culmine à 121. Les terres environnantes à l'est et au sud oscillent entre 80 à 90 mètres, avec quelques collines dépassant les 110 mètres. Une couche aquifère affleure à l'approche du Martiel. et explique la présence des sources.
Jean Salmon Macrin a décrit trois fontaines dans ses poèmes. Leurs noms traduits en français sont encore connus des gens de la région même si les sources ne sont pas forcément visibles et ont subi des transformations profondes. Ainsi, nous avons pu retrouver les lieux et les visiter, et les placer certes assez grossièrement sur une carte. Nous avons choisi comme fond de carte les cartes de Cassini qui sont les plus anciennes auxquelles nous avons pu accéder.
Cartes des fontaines (sources) décrites par Salmon Macrin.
Les
points rouges correspondent aux fontaines décrites par Jean
Salmon Macrin, les verts à d'autres sources (sans pour ces
dernières rechercher l'exhaustivité. Pour les
points rouges nous trouvons d'ouest en est :
En vert, d'autres fontaines rencontrées lors de nos recherches :
Note
La route actuelle de Loudun à Thouars ne suit pas le
tracé de l'ancienne route représentée
ici qui passait très près de la Fontaine
Brisseau. Les portions de routes rectilignes ont en
général été construites
après la Révolution (voir l'article concernant la
route (D61) entre Loudun et Richelieu).
Lieu-dit La Fontaine de verre à Saint-Laon (86) (2005-08-06). © Photographe
Anachronique, ce panneau routier pour introduire une fontaine chantée en latin par un poète loudunais, il y a presque 500 ans ? Automobilistes entre Loudun et Thouars, circulez, il n'y a plus rien à voir, la source a été empierrée, il y a quelques mois !
Après, les décès d'Hélène et d'Honorat, ses premiers enfants, Jean Salmon Macrin s'adresse à la nymphe de la source Prasocrène.
En ce jour de fête, Prasocrène,
Sacrifiant sous l’ombre noire des arbres,
Je t’ai dressé et dédié un autel
De gazon : à quoi bon?
A quoi bon avoir brûlé une odorante moisson
D’encens oriental dans ta demeure sacrée,
T’avoir offert une coupe pleine de vin et
Des couronnes de fleurs,
Si de ton côté, sans gentillesse pour un poète qui t’est familier,
Tu tournes en mal les sacrifices reçus
Et écoutes d’une sourde oreille mes
Larmoyantes plaintes.
Jean Salmon Macrin
extrait de
VI-29- A la nymphe Prasocrène, Nénie sur la mort de ses enfants Hélène et Honorat
traduction de Suzanne Laburthe.
Dans le poème de Salmon Macrin, la nymphe Prasocrène habite une source près de Saint-Laon. Prasocrène peut se traduire par Fontaine verte ou Fontaine des Prés. Or on retrouve près de Saint-Laon le lieu dit Fontaine de verre . Une source dénommée Fontaine des Prés est toute proche. Nous sommes arrivés trop tard. La source aurait été empierrée depuis quelques mois seulement. On nous a montré le chemin qui y conduisait. Le ruissellement devait le traverser. Les traces de l’empierrement sont bien visibles.
Chemin conduisant à la Fontaine de Verre (86) (2005-08-06). © Jean-Claude Raymond
La présence d’un bosquet inextricable semble marquer un endroit encore de nos jours humide. L’eau de la source devait ruisseler dans les champs et probablement arroser les près alentour et leur donner une belle couleur d’un vert profond.
A quelques centaines de mètres du lieu présumé de la source se trouve un dolmen. Preuve, s’il en fallait encore une, du peuplement ancien des hommes dans la région.A priori, il ne semblait pas difficile de localiser ces fontaines car l’une d’entre elles est signalée sur la carte topographique au 1/25 000, France, Loudun Ouest (levés photogrammétriques de 1974, complétés sur le terrain en 1976) et une rue de Loudun se nomme rue des Fontaines blanches à laquelle se rattache la rue des Grands Lavoirs. Il ne faut oublier que les lavoirs servaient aussi au travail du chanvre cultivé dans la région ce qui peut expliquer leur nombre. Il y avait donc plusieurs sources qui se déversaient dans le Martiel sur quelques centaines de mètres. Le nom de Fontaines blanches provient du fait que les eaux coulant sur du tuffeau acquièrent une couleur laiteuse. Les sources elles-mêmes, furent plus difficiles à localiser et restent invisibles, donc introuvables pour un promeneur de passage.
L’une et l’autre ont été captées. L’une d’entre elles le fut de longue date ; elle alimentait Loudun en eau potable. Mais victime de la culture intensive, la quantité de nitrate étant hors normes, ses eaux devinrent impropres à la consommation. Ses eaux furent alors canalisées et conduites vers la deuxième source située rue des Grands-Lavoirs. Le seul élément révélateur de sa présence est un petit bâtiment cubique abritant les installations de pompage au profit des industries locales.
La Fontaine blanche (86—Loudun)
(2005-08-06). © Jean-Claude Raymond
Un lavoir existait encore dans les années 1955-1960. Il dut laisser la place à la station de pompage actuelle. Nous avons recueilli des témoignages directs nous indiquant qu’on y portait encore le linge pour le rincer jusqu'à ces dates. On nous assura qu’on obtenait un linge bien plus souple et plus doux qu’aujourd’hui dans les machines à laver malgré les produits anti-calcaires et adoucissants. Les enfants des maisons avoisinantes allaient s’y baigner sans le dire à leurs parents qui craignant les noyades dans le lavoir le leur défendaient. Ils y pêchaient des gardons.
Autrefois, les eaux de ces fontaines étaient très pures. La seconde alimenta une laiterie dont le beurre était renommé.
Le sort de la Fontaine Brisseau, la plus connue de celles qui ont été décrites par Salmon Macrin, n’est pas beaucoup plus enviable. A l’emplacement qui porte ce nom, dans le vallon du Martiel, surplombé par la colline où se trouve Germier, autre lieu cher à Macrin, nous trouvons un bosquet dans un creux d’où ne sort aucun ruissellement (mais nous sommes en l’été 2005, année sèche avec restriction d’eau dans le département de la Vienne comme suite à un hiver sans précipitations suffisantes).
Brisseau, gardienne des sources vives et trépillantes, tu règnes sur les prairies ensoleillées ; tu vivifies l’herbe verdoyante qui boit les eaux de ton ruisseau glacé ;
Dans le vallon touffu, ton pouvoir s’étend sur tes sujets, les chênes, les saules vert pâle et le peuplier qui offre son ombre hospitalière aux voyageurs fatigués.
Jean Salmon Macrin Épithalame IV [1]
Bosquet à l'emplacement de la Fontaine Brisseau en venant de l'étang de Beausoleil (86—Loudun) (2005-08-06). © Jean-Claude Raymond
Chemin qui borde au nord le bosquet à l'emplacement de la Fontaine Brisseau (2005-08-06) (86—Loudun)
(2005-08-06). © Jean-Claude Raymond
Vue vers l'étang de Beausoleil à partir du bosquet de la Fontaine Brisseau (86—Loudun)
(2005-08-06). © Jean-Claude Raymond
Ce cliché peut-il évoquer la source décrite dans les poèmes de Jean Salmon Macrin ? L’étang en aval de la fontaine Brisseau est artificiel et est alimenté par la source de Beausoleil par conduite forcée des eaux qui auraient dû se déverser en aval de l’étang dans le Martiel, à quelques centaines de mètres.
Toi qui chasses les lourds soucis, Brisseau, je vais maintenant te chanter pour qu’aucune source ne soit plus célèbre sur les rochers sacrés d’Aonie ni sur les crêtes de l’Ida Phrygien.
Que l’on aime en effet, après le midi dévorant, s’étendre sur tes herbes en pinçant la cithare d’ivoire, ou qu’oisif on préfère le calme du matin, près de l’aimable murmure de la source frissonnante, sans souci on jouira de prairies aux mille couleurs et d’arbres étalant en tous sens leurs feuillages nouveaux.
Jean Salmon Macrin
Épithalame 6 [1]
La Fontaine Beausoleil (86—Loudun)
(2005-08-06). © Jean-Claude Raymond
Située entre Loudun et l’étang de Beausoleil, cette source peut nous donner une idée de la clarté des eaux que pouvait produire la source Brisseau, toute proche. A notre connaissance, celle-ci n’est pas décrite par Salmon Macrin. Elle alimente l'étang du même nom.
La Fontaine Beausoleil, vue arrière côté de la rue (86—Loudun)
(2005-08-06). © Jean-Claude Raymond
Le bosquet à l'emplacement de la Fontaine Brisseau (86—Loudun)
(2005-08-28). © Jean-Claude Raymond
Encore un regard vers le bosquet témoin de la source Brisseau et retournons nous vers l'étang de Beausoleil qui est en aval. L'étang de Beausoleil est de création récente ; Salmon Macrin ne put donc le connaître. Toutefois, sa présence, si proche de la fontaine Brisseau témoigne que ce lieu favorable à la détente et au bonheur l'est encore de nos jours.
L'étang de Beausoleil en tournant le dos à la fontaine Brisseau (86—Loudun)
(2005-08-28). © Jean-Claude Raymond
Ceux qui connaissent l'œuvre de Jean Salmon Macrin se laisseront emporter par la rêverie. Leur imagination fera peut-être émerger des eaux calmes de l'étang et de l'ombre profonde et protectrice des grands arbres l'image du bonheur de Gelonis et Jean Salmon Macrin. Qui sait ? Un jour peut-être, un peintre inspiré nous fera profiter de sa vision.
Etang de Beausoleil côté vers la source Brisseau (86—Loudun)
(2005-08-28). © Jean-Claude Raymond
On peut certes regretter la disparition, le captage ou le tarissement des sources décrites par Salmon Macrin. Mais demain, quel Loudunais poète laissera les traces des installations et paysages actuels ? Dans 500 ans, que restera-t-il du temps présent ?
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A la Croisée de l'Anjou, de la Touraine et du Poitou vous remercie de votre visite
Dernière modification : 2008-01-03 - 10:36:03
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