A la Croisée de l'Anjou, de la Touraine et du Poitou
Comment ils ont décrit Urbain Grandier
Citations
par Jean-Claude Raymond
Urbain Grandier avait traîné dans le vice la couronne sacerdotale que l'église avait placée sur son front… Il serait inconvenant de vouloir réhabiliter la mémoire d'Urbain Grandier : cet homme ne fut qu'un prêtre indigne et scandaleux…
Le ton est totalement différent de celui de l'abbé Leriche. Certes Grandier est répréhensible « prêtre indigne et scandaleux ». Pour ces raisons seules « il serait inconvenant de le réhabiliter ». C'est une opinion honnête. On verra que Thomas Bensa et d'autres auront des opinions bien différentes.
Boulliau a bien connu l'affaire Urbain Grandier. Non seulement, il était loudunais mais de plus, c'est lui qui desservit la paroisse de Saint-Pierre-du-Marché pendant la détention de Grandier. Dans une lettre, datée de 7 septembre 1634, soit trois semaines après le supplice de Grandier, adressée à son ami et savant Gassendi, Boulliau donne son sentiment sur l'affaire :
Voilà l’histoire succincte de la mort de cet homme qui avait de grandes qualités mais accompagnées de grands vices, humains néanmoins et naturels à l’homme. Il était docte, bon prédicateur, bien disant, mais il avait un orgueil et une gloire si grande que ce vice lui a fait pour ennemi la plupart de ses paroissiens et ses vertus lui ont accueilli l'envie de ceux qui ne peuvent paraître vertueux si les séculiers ne sont diffamés parmi le peuple. La rage de ses ennemis est si grande qu’ils ont plus de dépit de l’avoir vu mourir comme un chrétien constant et sans murmure qu’ils n’ont eu de plaisir s’assouvissant de vengeance de le voir périr. D’ailleurs, je déplore la condition en laquelle on veut mettre les chrétiens de les faire mourir sur la déposition des diables, doctrine dangereuse, impie, erronée, exécrable et abominable qui rend les chrétiens idolâtres, ruine la religion chrétienne dans ses fondements, ouvre la porte à la calomnie et fera, si Dieu, par sa providence, ne remédie à ce mal, que le diable se fera immoler par les hommes des victimes humaines, non plus sous le nom de Moloch, mais à la faveur d’un pacte diabolique et infernal.
Boulliau
Son regard sur le comportement de l'église dans cette affaire est à son honneur et est probablement une rémanence de son éducation calviniste qu'il abjura à l'âge de 22 ans. Un autre Loudunais, Daniel Rogier eut le courage, après avoir examiné les religieuses, de soutenir qu'il ne s'agissait ni de magie, ni de sortilège.
ce qu'on reproche à ce curé, ce sont moins des pratiques que des mots ; c'est moins ce qu'il fait que ce qu'il en dit avec arrogance. Ses réussites dans les joutes oratoires et dans la chicane sont précisément ce qui le perd. Une part de l'opinion l'applaudit, parce que c'est du théâtre. Elle applaudira aussi le théâtre où il figurera comme condamné à mort.
Michel de Certeau
in La Possession de Loudun
Pari, 1970
il n'est pas d'historien sérieux qui admette la culpabilité de Grandier, même si par ailleurs on tient pour certain qu'il était loin d'être un prêtre exemplaire.
Mgr Cristianai
Grandier est « passablement mondain. »
Là, est probablement une des erreurs majeures d'Urbain Grandier : croire qu'il pouvait, lui simple prêtre, avoir une conduite tolérée chez les grands et à la cour. Or, bien que brillant il n'était pas un grand personnage et Loudun n'était pas la cour. A-t-on brûlé un roi pour ses conquêtes amoureuses à cette époque ?
Il est ridicule d'en faire un martyr, en haine de Richelieu. C'était un fat, vaniteux, libertin, qui méritait non le bûcher, mais la prison perpétuelle.
Michelet
En quoi, méritait-il la prison perpétuelle ? Remplacer le bûcher par la prison à vie n'est qu'une question d'époque.
Nous allons trouver là, une description bien différente de celles des hommes d'église traditionalistes, voire réactionnaires. Il suffit du titre pour comprendre dans quelle optique se place Thomas Bensa : Urbain Grandier ou le Précurseur de la Libre Pensée. Nous sommes donc très loin de l'abbé Leriche.
… les malheurs de ce curé galant
Qui, par sa bienveillance et son très grand talent,
Dans une illustre église exeéant l'amourette,
Des femmes de Loudun s'attira la conquête
[…]
Urbain se révélait, aux yeux des Loudunois,
Comme un Christ social en quête d'une croix.Thomas Bensa
Christ social : la forme prête à sourire comme chez Bléau la couronne sacerdotale traînée dans le vice qui me rappelle ces images pieuses retrouvées dans les vieux missels familiaux.
Dans ce que j'ai lu, Urbain Grandier m'apparut libertin. Fut-il social ? Son comportement pendant l’épidémie de peste à Loudun est certes exemplaire et son dévouement fut grand. On peut penser que cette conduite, ainsi que celle qu'il a eue pendant son procès et en face de la torture semblent montrer qu'il ne craignait pas la mort. Et bien que les personnages soient aux antipodes, un autre Loudunais semble avoir partagé cette absence de crainte devant la mort. Dans l'un et l'autre cas, on remarquera comment les bourreaux d'où qu'ils viennent sont odieux.
Placé dans un milieu intellectuel plus élevé, Grandier eût pu contribuer à ouvrir à la France les voies d’une révolution philosophique ; à Loudun, ses hardiesses et son talent le perdirent. Peut-être, nous le répétons, craignit-on les velléités de révolte de cet esprit supérieur confiné dans une petite ville du Poitou.
Robert Luzarche
in Traité du célibat des prêtres
Introduction à la réédition,
éditions Hors Commerce, 1995, ISBN 2-910599-03
Ménage est près de le ranger parmi les grands hommes accusés de magie, dans les martyrs de la libre pensée.
Michelet
in La Sorcière, VII
Les Posésdéesde loudun — Urbain Grandier 1632-1634
un des rares exemples de résistance à ces suggestions entraînantes, et peut-être le seul d'une pareille constance dans l'histoire de ces accusations insensées, de ces jugements stupides et de ces supplices cruels.
Thulié
in La Mystique
Paris, 1912
Le comportement d'Urbain Grandier pendant son martyre m'a toujours frappé et paru inexplicable jusqu'au jour où l'idée n'est venue qu'une idée supérieure animait Grandier. Elle serait qu'il était persuadé de porter en lui la vision d'une nouvelle église rénovée non pas à la manière des protestants mais une sorte d'église libertaire quelque chose qui le rapprochait de certaines communautés chrétiennes très anciennes.
C'est un homme très méchant, capable du crime dont il a été atteint et condamné ; ses partisans même reconnaissent qu'il vivait dans une débauche qu'on ne peut qualifier, profanant les choses les plus saintes.
La Menardaye
in Causes célèbres
1734
[Grandier] convaincu d'avoir abusé de son ministère pour séduire et corrompre plusieurs femmes et filles, et même d'avoir profané le sanctuaire par des crimes abominables.
La Menardaye
in Examen
1747
En 1859, l'abbé Leriche écrit :
Grandier était un homme orgueilleux, violent, vindicatif, débauché, qui indépendamment du crime de magie bien prouvé, méritait le feu...
Abbé Leriche
On peut comprendre que des ecclésiastiques tiennent à justifier la condamnation d'Urbain Grandier. Que les conquêtes féminines, la conduite d'Urbain Grandier ne soient pas le modèle rêvé pour un homme d'église, tous en conviennent. Mais Leriche est blâmable quand il prétend qu'Urbain Grandier a commis le crime de magie. Peut-être n'en est-il pas si sûr puisqu'il ajoute « bien prouvé », probablement pour s’en convaincre ou pour convaincre les incrédules. Or, ce qu'il ressort des analyses faites par des historiens, c'est qu'aucune preuve de sorcellerie n'a été apportée au cours du procès, pas plus que les analyse faites ensuite. Leriche est donc coupable de manipulation.
Mais, il y
a encore plus
grave lorsqu'il dit que
Grandier « méritait le feu ». En effet,
il semble
ou veut ignorer que la condamnation pour sorcellerie a
été interdite sous le règne de Louis
XIV.
Il apparaît donc sous les traits d'un partisan et non d'un historien.
Quel esprit de vengeance se
dégage de ce court extrait. Est-ce bien là un
discours chrétien ? Bléau qui condamne Grandier le fait sur
un ton plus honnête.
Séguin médecin est contemporain de Grandier. Il disait de ce dernier qu'il :
vivait dans une débauche qu'on ne peut autrement qualifier que du nom d'impiété, profanant les choses les plus saintes, et abusant hautement de la religion, qu'il prêchait avec assez de réputation.
Dr Séguin
in Mercure Français
tome XX
On ne comprend pas au premier abord comment un homme intelligent comme Grandier puisse présenter vis-à-vis de la religion des conduites qui paraissent opposées. Je crois que la clef est dans le fait qu'Urbain Grandier se positionnait dans une église refondée. Il démontre que le célibat des prêtres n'est pas un dogme ancien et il le remet en question. Il pousse sa remise en cause jusqu'à cette cérémonie de mariage surprenante où il est, à la fois, le prêtre qui officie et le marié.
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A la Croisée de l'Anjou, de la Touraine et du Poitou vous remercie de votre visite
Dernière modification : 2008-10-17 - 19:20:48
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