A la Croisée de l'Anjou, de la Touraine et du Poitou
Le Prêtre sauvé par son chien
Histoire encore racontée aux enfants vers 1930
Jean-Claude Raymond Fernande Germain
Quand j'étais enfant, dans les années trente, mes grands-parents me racontaient une histoire, plus qu'une légende, qui se transmettait de génération en génération.
C'était au temps de la révolution, après 1789, il y avait à Loudun un vieillard qui habitait dans les caves troglodytiques du Château Gaillard qui pouvaient servir de maison. Il y avait une cheminée, une table de pierre de tuffeau et un lit creusé dans la roche.
Ce malheureux vieillard ne parlait à personne mais, malgré sa pauvreté, il restait très digne et forçait le respect. Autrefois, au cours des veillées, les gens aimaient beaucoup parler et jaser sur le voisinage. On finit par savoir que c'était un prêtre réfractaire à la République. Ce vieil homme avait avec lui un chien qui lui tenait compagnie.
Un jour, très tôt le matin, la maréchaussée pénétra dans cette petite ruelle du Château-Gaillard pour arrêter ce rebelle qui ne voulait pas se plier aux lois républicaines. Sans doute avait-il été averti par des âmes charitables car les gendarmes ne trouvèrent personne et rien ne faisait apparaître que ces caves étaient habitées. Ils recherchèrent vainement aux alentours, sans succès, ils partirent bredouilles.
Il faut savoir qu'à un ou deux kilomètres de là, au lieu dit Le Bué à Niré-le-Dolent, il y avait une chapelle souterraine où ce bon prêtre venait en cachette et avec le soutien des paysans dire sa messe en pleine nuit et les villageois des alentours y assistaient pour se faire confesser, recevoir la communion et baptiser les nouveaux-nés.
Cet hiver là le froid vint en avance et la température fut très rude dans le loudunais (c'est d'ailleurs une particularité à Loudun, les étés sont très chauds et secs et les hivers très rigoureux). Le petit ruisseau le Martiel qui prend sa source au Martray, était gelé et le Moulin-du-Noyer n'avait plus d'eau pour l'alimenter. La misère était grande et pour comble de malheur le meunier se mourait de la "poitrine", une congestion pulmonaire de nos jours. Ce brave homme était épuisé par les quintes de toux et le sang qu'il crachait ; sa fin semblait bien proche et les siens voulaient appeler un prêtre pour l'assister dans ses derniers instants. Il était difficile d'en trouver un car deux prêtres réfractaires de Loudun avaient été guillotinés pour avoir célébré la messe.
A ce moment, l'apprenti meunier s'éclipsa sans rien dire, alla jusqu'au souterrain du Bué où le villageois, qui en surveillait l'entrée, le connaissant, le laissa passer. Cinq minutes après il repartait avec notre bon curé accompagné de son chien fidèle. Le froid était intense avec une boue et un verglas à ne pas tenir debout. Le prêtre arriva à temps pour pouvoir administrer les sacrements à notre meunier mourant mais encore conscient. Après une dernière bénédiction à toute la famille, il reprit avec son chien le chemin du Bué.
Ce manège n'était pas passé inaperçu à deux hommes voyant les gendarmes qui arrivaient par une autre ruelle au Moulin-du-Noyer, pour arrêter notre prêtre qui venait juste de sortir.
Après les questions d'usage posées à la famille du meunier, les deux gendarmes partirent à la recherche du prêtre. Il faisait une nuit sans lune, noire comme l'enfer et alors une chose insensée se produisit : l'aboiement d'un chien retentit dans la nuit, ils se dirigèrent donc dans cette direction, étant sûrs d'être dans la bonne voie. Mais, le chien très intelligent les amenait vers le ruisseau où ils se heurtèrent à des haies d'épines et arrivèrent dans le Martiel gelé. La glace se dérobant sous leurs pas, ils se retrouvèrent les pieds dans une eau gelée.
Entre temps, notre bon prêtre était de retour dans sa chapelle souterraine du Bué, mais trouvait étonnant de n'être pas suivi par son chien. La pauvre bête arriva plus tard, méconnaissable, tout crotté et le poil transformé en glaçons. Notre curé voyait bien que quelque chose d'étrange s'était passée dans ce laps de temps, mais ayant retrouvé son chien il n'en demandait pas d'avantage.
Le lendemain, il apprit par des villageois qu'il avait été sauvé grâce à son chien et que des membres de la gendarmerie avaient retrouvé deux des leurs en piteux état, les mains et pieds gelés, aux environs de Beauçay, à l'opposé de la cachette de notre vieillard. Ils racontèrent à leurs supérieurs une histoire rocambolesque d'un chien qui aboyait, si bien que leurs chefs pensèrent qu'ils étaient devenus fous dans cette tourmente.
Fernande Germain
Lerosey dans son livre Loudun indique au chapitre histoire religieuse :
M. Triffaut des Treilles (curé du Martray de 1779 à 1791) ne quitta pas la contrée durant les mauvais jours de la révolution. Il réussit à se soustraire aux recherches des Jacobins. Il se cachait en compagnie d'un autre prêtre, M. l'abbé Moreau, curé de Saint-Léger, dans les carrières de Niré-le-Dolent, où ils célébraient les saints mystères et administraient les sacrements.
On peut penser que l'histoire, tenue des grands-parents de Fernande Germain, concerne les deux prêtres dont nous entretient Lerosey. Elle possède donc, comme souvent pour les légendes ou histoires de ce type un fond réel. Mais au fil des transmissions les faits sont souvent embellis et transformés. Faut-il prendre pour argent comptant tous les détails. Certes pas, Rabelais nous a habitué à ce genre d'exercice qui consiste à donner des lieux précis à une histoire inventée. C'est une technique souvent employé par les conteurs pour donner plus d'authenticité à leurs dires. Mais, dans le cas présent, cette histoire montre à quel point des faits peuvent rester présents dans la mémoire d'une population.
Lerosey cite un peu plus loin un texte de l'abbé Bleau décrivant la chapelle souterraine où officiait Triffaut des Treilles.
Sous la Révolution, alors que Triffaut des Treilles, curé du Martray de 1779 à 1791 et l'abbé Moreau se cachaient pour échapper aux Jacobins dans les caves de Niré-le-Dolent, Georges de Marsay qui avait prêté serment le 27 décembre 1790 était nommé au Martray. Il va sans dire que la prise de possession de sa cure le 10 juin 1791 ne fut pas sans incident. À la même époque, l'évêché de Poitiers était sans évêque. L'abbaye de Fontevraud qui fut jusqu'à la Révolution la plus riche des abbayes de femmes, est évacuée en 1792 et pillée jusqu'à ce que par un décret de 1804, Napoléon ordonne sa transformation en prison. Ce n'est cependant qu'en 1814 que les premiers prisonniers arrivent. Faut-il s'étonner que cette période troublée ait marqué les esprits au point que, 150 ans plus tard, on racontait l'histoire que nous a rapportée Fernande Germain ? La fermeture de la prison de Fontevraud est décidée en 1963. Les derniers prisonniers la quitteront en 1985.
Les caves ont appartenu par la suite, dans les années 1860 à 1900, à des membres de la famille. de F. Germain. Elles étaient attenantes à une grande remise et à un groupe de maisons dont une boulangerie, au Martray, qui existait encore il y a quelques décennies. D'ailleurs sur des cartes postales ou photographies anciennes représentant la porte du Martray on peut apercevoir une cheminée (genre cheminée d'usine) qui faisait partie de cette boulangerie. Elle apparaît en couverture sur une photographie du Syndicat d'Initiative en bas à gauche et la porte du Martray se distingue en bas de l'église qui se trouve au centre de la photographie.
Ajoutons que cette chapelle existe toujours à Niré-le-Dolent (une photographie de cette chapelle), il y a encore la rue de la Chapelle souterraine, mais la porte de la cave est condamnée car, vu la vétusté des lieux, il n'est plus possible de faire des visites, pour raison de sécurité.
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A la Croisée de l'Anjou, de la Touraine et du Poitou vous remercie de votre visite
Dernière modification : 2008-01-09 - 15:48:59
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