A la Croisée de l'Anjou, de la Touraine et du Poitou
L'Affaire Urbain Grandier
vue par Henri Martin
par Jean-Claude Raymond
Table des matières
Dans son Histoire de France depuis les temps les plus reculés jusqu'en 1789, tome XI, 4e édition, Furne libraire-éditeur, 45, rue Saint-André-des-Arts, Paris, 1864, Henri Martin présente dans les pages 605 et 606, dans un chapitre complémentaire nommé Éclaircissements, la manière dont il appréhende l'affaire Urbain Grandier (documentation rassemblée par Joël Baquer).
Reproduction de la page de garde qui est originellement en noir et blanc.
ECLAIRClSSEMENTS (P. 605-606)
Urbain Grandier, curé de Saint-Pierre de Loudun, personnage de belles manières et d'esprit distingué, mais vaniteux, turbulent et peu réglé dans ses mœurs, s'était fait de nombreux ennemis dans sa ville et n'était sorti qu'à grand-peine d'un procès scandaleux : ses querelles et ses aventures galantes mettaient tout le pays en rumeur et préoccupaient surtout l'imagination des femmes. Des religieuses ursulines, dont une était parente éloignée de Richelieu, tourmentées des vapeurs hystériques et obsédées par la pensée du beau curé de Saint-Pierre, s'imaginèrent être ensorcelées par Grandier et possédées de démons soumis à ses ordres. Des prêtres et des moines, ennemis personnels de Grandier, saisirent avidement cette occasion de perdre leur adversaire, confirmèrent ces religieuses dans leur fantaisie et se mirent à les exorciser. Les ursulines redoublèrent de cris, de convulsions, de postures extravagantes. Un commencement de procédure eut lieu, mais sans beaucoup de succès. Si l'évêque de Poitiers, diocésain de Loudun, était contraire à Grandier, le métropolitain Henri de Sourdis, archevêque de Bordeaux, le protégeait. L'affaire allait tomber d'elle-même, quand, par malheur, vint à Loudun le conseiller d'État Laubardemont, alors en tournée dans l'Ouest, avec le titre d'intendant de justice et la mission de surveiller le démantèlement des châteaux. C'était un homme sombre et atrabilaire, dont l'activité malfaisante était dirigée par une âme impitoyable, une de ces natures d'inquisiteur, dangereuses en tout temps, terribles et fatales sous les gouvernements absolus qui ont le malheur de leur livrer une part de l'autorité publique. Les ennemis de Grandier circonvinrent Laubardemont, qui prit feu et qui écrivit en cour afin de demander l'autorisation de poursuivre le curé de Saint-Pierre. Richelieu était déjà, dit-on, prévenu contre Grandier ; Laubardemont eut ordre d'instruire le procès. Dès que les interrogatoires et les exorcismes eurent recommencé avec plus d'apparat, les phénomènes prétendus surnaturels se multiplièrent, et dans le couvent des ursulines et dans la ville, par suite de la monomanie contagieuse qui se propage si aisément en pareil cas, la fourberie et la haine aidant d'ailleurs, selon toute apparence, à la superstition et à la folie. Ce qui est certain, c'est que la procédure, violente [et peu même ?] selon le droit ecclésiastique, fut souillée par d'atroces barbaries. L'instruction étant achevée, l'évêque de Poitiers et son officialité déclarèrent les caractères de la possession diabolique constatés, la Sorbonne, consultée, fut du même avis. Le roi avait nommé, pour juger Grandier, une commission de quatorze magistrats pris dans les divers bailliages des environs, sous la présidence de Laubardemont; le 18 août 1634, la commission, à l'unanimité, condamna Grandier à être brûlé vif. On lui promit, par grâce, qu'il serait étranglé avant d'être brûlé ; mais les moines qui avaient dirigé les exorcismes étaient si acharnés contre ce malheureux, qu'ils eurent l'horrible méchanceté de faire un nœud à la corde, afin que la douleur des flammes ne lui fût pas épargnée. Un récollet et deux capucins, faisant l'office du bourreau, mirent eux-mêmes le feu au bûcher.
Quelle fut la part de Richelieu dans cette odieuse tragédie ? On peut rejeter sur les subalternes la de quelques détails hideux, mais non du procès même, puisque l'autorisation d'instruire fut donnée et la commission extraordinaire nommée par le conseil du roi. Le capucin Tranquille, un des exorcistes, affirme, dans sa relation imprimée à Paris [voir la bibliographie] aussitôt après l'évènement, que le roi et le cardinal étaient tenus au courant des exorcismes et des interrogatoires par M. de Laubardemont. Y-a-t-il donc là, comme on l'a dit, quelque mystère d'iniquité ? Quel intérêt avait Richelieu à la perte du curé de Saint-Pierre ? Les ennemis de Grandier l'avaient, dit-on, dénoncé calomnieusement à Laubardemont et au P. Joseph comme l'auteur d'un plat et ignoble libelle qui venait d'être lancé contre le cardinal. C'est bien mal connaître Richelieu que de l'accuser d'avoir enveloppé hypocritement ses vengeances ; il avait coutume de se venger an grand jour ; il eût fait poursuivre Grandier, comme pamphlétaire, en vertu des terribles ordonnances qui punissaient de mort les auteurs de libelles séditieux. On a parlé de l'intervention active du P. Joseph contre Grandier; rien n'est moins prouvé. On s'est donné beaucoup de peine pour assigner un caractère politique à cette triste affaire, sans. rien rencontrer de raisonnable. L'explication la plus naturelle est celle à laquelle personne ne semble avoir songé. Richelieu, qui croyait à l'astrologie et à la pierre philosophale ainsi (que nous l'apprennent les lettres de Grotius (Grotii Epistolæ, an 1636, passim), croyait pareillement aux possédés et aux sorciers, comme y avait cru le sage Bodin, comme tant de sages, même parmi les protestants, continuaient d'y croire, comme le grand Pascal et tout le jansénisme y crurent encore! On peut remarquer qu'à ce sujet l'évêque de Poitiers, qui contribua, autant que Laubardemont lui-même à la mort de Grandier, était l'ami de Saint-Cyran. Là où l'on veut trouver un abominable machiavélisme, il n'y eut qu'une erreur et qu'une déplorable faiblesse, et, selon toute apparence, les Mémoires de Richelieu expriment fort sincèrement sa pensée sur le procès de Grandier. Son livre de l'Instruction du Chrétien, qui n'a pas été écrit pour les besoins de la cause (il date de 1618), n'est pas équivoque sur la croyance à la sorcellerie.
Mém. de Richelieu, 2e sér., t. VllI, p. 568.569. - Archives curieuses, 2e ser., t. V, 183-279. --M. Danjou a réuni, dans ce volume, plusieurs pièces importantes, les unes rares, les autres inédites, sur l'affaire de Grandier. - Mercure françois, t. XX, p.746-780.-- Griffet, Histoire de Louis XIII, t. II, p.532-536. --Bazin, Histoire de France sous Louis XIII, t. III, p. 328-338.
Henri Martin
in Histoire de France depuis les temps les plus reculés jusqu'en 1789,
tome XI, 4e édition, Furne libraire-éditeur, 45, rue Saint-André-des-Arts,
Paris, 1864
FIN DES ÉCLAIRCISSEMENTS.
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Dernière modification : 2007-11-29 - 19:03:16
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