A la Croisée de l'Anjou, de la Touraine et du Poitou
Du Poitevin qui enseigne le chemin aux passants
par Bonaventure des Périers
par Jean-Claude Raymond (commentaires)
Table des matières
Prenez le cas que vous ayez à faire une diligence1 et qu'il fasse froid ou quelques mauvais temps, en somme que vous soyez fâché de quelque autre chose, et par fortune2vous ne sachiez votre chemin. Vous avisez un Poitevin assez loin de vous qui laboure en un champ ; vous prenez à lui demander : « Eh hau ! mon ami, où est le chemin de Parthenay ? » Le pique-bœuf, encore qu'il vous entende, ne se hâte pas de répondre ; mais il parle à ses bœufs3 : « Garea, Frementin, Brichet, Castain, ven après moay, tu ves bien crelincoutant4 », ce dit-il à son bœuf, et vous laisse crier deux ou trois fois bonnes et hautes. Puis, quand il voit que vous êtes en colère et que vous voulez piquer droit à lui, il sible5 ses bœufs, pour les arrêter et vous dit : « Qu'est-ce que vous dites ? » Mais il a bien meilleure grâce au langage du pays : « Quet o que vos disez ? » Pensez que ce vous est grand plaisir, quand vous avez si longuement demeuré à vous étuver6 et crié à gorge rompue, que ce bouvier vous demande que c'est que vous dites ; et bien, si faut-il que vous parliez : « Où est le chemin de Partenay ? Dis ! — De Parthenay, Monsieur ?, ce vous dira-il. — Oui, de Parthenay. Que te vienne le cancre 7 ! — Et dont venez-vous, monsieur ? dira-il ? » Il faut ressuer ou de cœur ou de bouche ! Dont je viens ! « Où est le chemin de Parthenay ? — Y voulez-vous aller, monsieur ? » Or sus8 prenez patience. « Oui, mon ami, je m'y en vais. Où est le chemin ? » Adonc il appelera un autre pique-bœuf qui sera là auprès et lui dira : « Micha, icoul homme demande le chemin de Parthenay ; n'est pas per qui aval9 ? » L'autre répondra (s'il plaît à Dieu) : « O m'est avis qu'ol est par deçai10 ». Pendant qu'ils sont là tous deux à débattre de votre chemin, c'est à vous à aviser si vous deviendrez fol ou sage. A la fin, quand ces deux Poitevins ont bien disputé ensemble, l'un d'eux vous va dire : Quand vous serez à iceste grand cray, tournez à la bonne main, et peu allez tout dret : vous ne sauriez faillir 11. » En avez-vous à cette heure12 ? Allez hardiment, meshui13 vous ne ferez mauvaise fin, étant si bien adressé14…
Bonaventure des Périers
in Nouvelles Récréations, LXXI
On aura remarqué dans ce texte des expressios du type :
Ce parler existait encore dans les années 1950 à Saint-Clair (France — Vienne). Ma mère parlait ainsi dès qu'elle retournait chez ses parents et ma sœur, âgée de 5 ans, qui avait passé des temps assez longs chez mes grands-parents, un jour que ma mère la ramenait à la maison, fit la remarque suivante une fois dans le train : « On est mieux dans cou train que dans cou car. »
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A la Croisée de l'Anjou, de la Touraine et du Poitou vous remercie de votre visite
Dernière modification : 2008-01-18 - 14:40:00
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