A la Croisée de l'Anjou, de la Touraine et du Poitou
Ma communion solennelle
Souvenirs du 8 mai 1945
par Christiane Bodin
Table des matières
Christiane Bodin nous livre ci-dessous le récit de sa communion solennelle, sous l'occupation allemande, le 8 juin 1944 (deux jours après le débarquement des troupes alliées en Normandie). Écrit pour ses petits-enfants, il rapporte des faits qui sont des instants de l'histoire au quotidien qui risquent de tomber dans l'oubli, il a toute sa place parmi d'autres récits que nous avons publiés :
Merci à Christiane Godin.
Le site est ouvert aux propositions de témoignages qui illustrent la vie de la région, utiliser le lien Contact en bas de page.
Depuis fort
longtemps, j'attendais avec impatience le jour de ma communion
solennelle qui devait avoir lieu le jeudi de la Fête-Dieu,
jour réservé à l'église
Saint-Pierre, pour cet évènement. Pour moi,
c'était la perspective d'un jour merveilleux. Me
revêtir de cette belle robe immaculée et de son
voile m'enchantait.
Le 8 juin 1944 se pointait à l'horizon.
Mes parents, avec juste raison, voulaient que cette fête restât familiale.
Maman réussit, avec l'aide de notre brave fermière Madame P• de • -•, qui nous dépannait depuis le début des hostilités, à nous trouver six pintades « bestioles très prisées et recherchées à cette époque », des œufs en quantité (maman était experte en œufs mimosas), de l'huile, de la vraie moutarde pour la mayonnaise fournies par notre épicier habituel, et le fin du fin du pain blanc!. Ce dernier ressemblait plus à de la brioche qu'à du pain. Pour le dessert, le pâtissier devait ériger une pièce montée, à qui nous avions fourni des œufs,avec tout en haut la reine d'un jour : la communiante .Papa s'était occupé de la cave. Du vin blanc de pays venant de Ranton, et du rouge en provenance de la région de Chinon, que l'on appelait du breton.
Une
cuisinière, Madame J… très
réputée dans notre Loudunais, arriva
dès le lundi, pour tuer, vider les volailles, faire les
pâtés avec des lapins élevés
à la maison. Du porc que notre ami boucher
« P'TIit »Louis B…,
nous avait procuré. Les légumes, eux, venaient de
notre petit jardin.
Nous devions être en tout, une vingtaine de personne, famille et amis réunis. Maman préparait avec bonheur ce grand jour. Petits plats dans les grands pour le déjeuner et le dîner, réception somptueuse comme maman savait organiser. La magnifique vaisselle en Limoges, la cristallerie, couverts en argent, nappes et serviettes brodées aux initiales de maman Suzanne Pauby, tout était sorti du buffet, des boîtes et des armoires. Elle avait mis les grandes rallonges de la table, prévoyante, elle avait dressé le couvert dès le lundi soir. Les assiettes et les couverts étaient posés au millimètre près, à croire qu'elle avait pris son mètre de couturière pour en mesurer la distance. Les chaises en rangs d'oignons ressemblaient à une rangée de gentils troufions qui semblaient attendre le passage en revue de l'ancien maréchal-des-logis (chef) Charles de Montes !
Les serviettes pliées en accordéons dans les verres, le menu posé près des assiettes avec un mot de bienvenue personnalisé à chacun des convives (idée de mon père) attendaient sagement. Il ne restait que les fleurs à disposer gracieusement au dernier moment.
Les trois
jours précédant la Communion
solennelle, toutes les filles et garçons des
écoles communales et privées faisant partie de la
paroisse Sant-Pierre se réunissaient au patronage
situé au presbytère rue du Château,
pour y faire une retraite et préparer la
cérémonie de la messe et des vêpres.
Le lundi tout
se passa bien.
Ce qui n'était pas prévu
c'était : le
mardi 6 juin 1944 : Le Débarquement !
Les nouvelles ne nous
étaient pas encore parvenues.
Nous nous trouvions dans la cour lorsque Monsieur
l'Archiprêtre, d'une voix grave nous
annonça :
La communion n'aura sans
doute pas lieu !
Il nous en donna la raison : Ces messieurs occupants avaient
interdit dès le matin :
TOUT RASSEMBLEMENT
ÉTAIT INTERDIT DANS LES RUES.
Nous étions tous abasourdis et déçus. A midi, lorsque nous sommes retournés chez nos parents respectifs, eux-même ne savaient que penser. Tout le monde était atterré. Que faire de toutes ces victuailles ? Le congélateur n'existait pas encore.
Je me
souviens toujours du repas pris en compagnie de la
cuisinière Mme J… D'une oreille
attentive, nous écoutions la radio. Malheureux en pensant
à tous ces soldats, anglais, américains et
quelques français se faisant tuer comme des lapins en
escaladant les falaises normandes. D'un autre
côté, heureux de cet
évènement tant attendu. Nous pensions
à notre famille de Dieppe. Le marché du
mardi était annulé, la ville, déserte.
Seuls des Allemands couraient un peu partout dans tous les sens. On
savait qu'il existait un maquis dans la forêt de
Scévolles, mais cela faisait peu de bruit .
Normal ! De quelle importance était-il ?
Qui en faisait partie ? Y aurait-il des
représailles ? Quel avenir nous était
réservé ?
Ce fut une triste, très triste matinée.
L'après-midi,
comme prévu, je retournai au
patronage. Nous étions tous silencieux, lorsque
Monsieur l'Archiprêtre Isidore Moreau, nous
annonça : Mes
enfants, j'ai réussi avec l'aide de Dieu à
convaincre nos occupants de laisser la cérémonie
se dérouler comme à l'ordinaire.
Quelle joie !
Rentrée, le soir à la maison, j'annonçais la bonne nouvelle ; chacun se remit à la tâche. Maman, Mémé, Mme J… se mirent en devoir de plumer les volailles, dépouiller les lapins que cette dernière avait estourbis la veille et attendaient lamentablement que ma grand-mère récupère leurs peaux (ils étaient tous blancs) pour les tanner et en faire une jolie veste pour sa petite-fille. Mme J… fit les pâtés. Tous les légumes et desserts, en dehors de la pièce montée, passèrent par les mains expertes de la cuisinière.
Enfin tout semblait rentrer dans l'ordre !
Pour moi,
dans l'inconscience de mes onze ans, j'allais pouvoir faire
ma communion. J'étais heureuse ! Je ne sais par
quel miracle notre tante Dolorès de Dieppe put
téléphoner à la maison,
malgré les lignes coupées, nous disant :
En raison des circonstances Marie-Thé (sa fille) et
elle-même, ne pourraient assister à cette
réunion familiale. Je le regrettai amèrement car
j'étais très attachée à ma
famille normande. Entre deux grésillements, elle nous dit,
qu'elle pensait beaucoup à nous, qu'ils étaient
sous des bombardements incessants, et m'enverraient les cadeaux de ma
première communion, dès que cela irait mieux. Je
ne les reçus que pour ma seconde communion en juin 1945.
Ces pieux dons étaient magnifiques. Comme on travaillait beaucoup l'ivoire à Dieppe, ma tante et ma cousine m'avaient fait faire un chapelet et sa croix où était gravé mon prénom :
CHRISTIANE
ainsi qu'un crucifix, aussi en ivoire, tenu par un cordon
blanc avec au
dos la date de ma communion :
8-8-1944
Je les garde toujours précieusement dans
un petit
coffret, que j'ouvre de temps à autres avec une certaine
émotion.
8 JUIN 1944 : LE GRAND JOUR
La cérémonie se déroula comme à l'habitude. Dès 8 heures et ½, réunion à la chapelle des sœurs Dominicaines, devenue aujourd'hui chapelle Cornay, rue Marcel-Aymard.
Après de nombreuses prières, nous nous rendîmes en procession en chantant jusqu'à l'église Saint-Pierre, magnifiquement décorée de guirlandes composées de fleurs en papier qui retombaient gracieusement du haut des voûtes. Le chœur et la Sainte-Table étaient inondés de fleurs blanches. Nous entrâmes au son des grandes orgues, entrée impressionnante pour nous, enfants.
Toute ma famille était là au grand complet. La messe fut fort belle. Nous étions attentifs, émus et heureux. La guerre était loin ! A la sortie, les cloches sonnèrent à toute volée. Il faisait très beau, un soleil éclatant illuminait le parvis de l'église et pourtant c' était le jour de la Saint- Médard, et si l'on en croit le vieux dicton : A la Saint-Médard, il pleut quarante jours plus tard. Il nous avait épargné !
Ce matin
là tout se passa normalement.
Nous voilà tous de retour au 3 rue de l'Abreuvoir pour le
déjeuner. Il fut éblouissant et très
gai. Maman par prudence (connaissant la maladresse de sa fille) m'avait
enlevé ma si jolie robe ainsi que mon voile. Je
déjeunai donc en robe de dessous. Avec mille
difficultés, je réussis toutefois à
garder ma coiffure. Je tenais quand-même à
ressembler à une communiante.
A 3 heures (heure allemande). Pendant la guerre, tous les faire-parts et annonces étaient imprimés ainsi), je rejoignis l'église, en compagnie de tous nos invités. J'avais autour de mon poignet ma belle couronne composée de fleurs naturelles, façonnée par les spécialistes de cet ornement : M. et Mme Rouffeteau. Les vêpres se déroulèrent avec les chants habituels et la fameuse promesse faite à Dieu, tout en haut des si belles marches en marbre, menant au pied du maître-autel, quatre par quatre, les garçons en premier, les filles ensuite, la main droite posée sur le livre des Évangiles, qu'un prêtre assistant soutenait à bout de bras. Dans la main gauche nous tenions un cierge dont nous ne gardions en souvenir que le papier l'entourant :blanc, argenté ou doré, suivant la grosseur et le prix.
JE RENONCE A SATAN
A SES ŒUVRES
ET A SES POMPES
JE ME DONNE A JESUS
PAR MARIE
POUR TOUJOURS.
A la fin de
la cérémonie, nous
partîmes
tous en procession, jusqu'à la Vierge-des- Boulevards. A
cette époque, le jardin entourant Marie était
ceint d'une jolie grille en fer forgé, munie de pointes
ciselées et acérées et une toute
petite porte .Nous formions un cercle autour de la statue.
Derrière les communiants, se trouvaient les familles, mais
comme l'enclos était restreint, il y avait beaucoup de monde
à l'extérieur.
Nous nous apprêtions à chanter ce cantique
traditionnel en levant
nos couronnes :
PRENDS MA COURONNE
JE TE LA DONNE
AU CIEL N'EST-CE-PAS
TU ME LA RENDRAS
AU CIEL N'EST-CE PAS
TU ME LA RENDRAS
lorsque tout à coup, on entendit un vrombissement et un bruit bien connu — le piqué d'un avion.
Nous levâmes la tête, en effet deux avions de chasse, anglais ou canadiens , nous ne le saurons jamais, fonçaient sur nous avec l'intention de nous mitrailler. Panique générale. Laissant tomber nos couronnes que nous devions théoriquement poser aux pieds de la Vierge, toute l'assemblée essayait de fuir. Des cris fusaient de partout. Impossible de passer par la petite porte, je me jetai contre la grille, quelqu'un me fit passer par dessus, et me mis à courir à toutes jambes, robe relevée, voile flottant au vent, remontant la rue de l'Abreuvoir, jusqu'à la maison. Je suis certaine que ce jour là, si les Jeux Olympiques avaient eu lieu, j'aurais mérité la médaille d'or !
Tout cela se
passa en quelques minutes, très longues
minutes ! Après avoir piqué, les avions
remontèrent, tournèrent plusieurs fois autour du
rassemblement, battirent des ailes de droite et de gauche, repartirent
sans faire de dégâts. Ouf ! Mais quelle
belle peur !
Quand il m'arrive parfois, de rencontrer des communiants de cette
journée mémorable, nous en parlons encore. L'un
d'entre-eux me dit, il y a peu de temps que l'archiprêtre
Isidore Moreau du haut des marches aurait dit : Ne vous affolez pas, la Vierge
nous protège !
Moi, je n'avais rien entendu !
Rentrée à la maison, ne voyant pas la cuisinière, je l'appelai et la cherchai un peu partout, lorsque je l'aperçus verte de peur, cachée sous la tonnelle en buis au fond du jardin, elle pouvait à peine marcher, tremblant de la tête aux pieds.
Mes parents,
le coeur battant, arrivèrent suivis de tous les
invités.
Où était passé Christiane ?
On me cherchait partout. Je n'avais pensé qu'à
une chose, sauver ma peau.
On sut, peu de temps après, que ces avions avaient mitraillé un train en provenance de Thouars et avaient fait deux morts. Nous l'avions échappé belle !
Tout le monde rassuré momentanément, on déboucha une bonne bouteille, pour se remettre de toutes ces émotions, tout en commentant les évènements. Sans doute, pensait-on que les aviateurs étaient repartis, ne reconnaissant point la tenue allemande, mais de simples communiants.
L'heure du
dîner arriva. Tout le monde mit la main
à la pâte. Rebelote ! On remis la table
sur une nappe légèrement tachée, les
chaises plus ou moins bien rangées, pourvu que chacun en
possède une. Les serviettes, à qui
étaient-elles ? Bof ! Peu importe. Les
émotions creusent, dit-on, aussi toute la
guerouée
(famille en langage loudunais) se remit
à table et les poules au pot passèrent rapidement
de l'assiette à la cavité buccale. De nouveau, la
gaîté régnait au sein de toute cette
famille. Tout-à coup, il était 11 heures (23
heures de nos jours) ,nous entendîmes le clairon : le
couvre-feu. Il faisait encore presque jour. Toute
l'assemblée resta sourde à cette injonction.
Personne n'avait envie de se séparer. On était si
bien ensemble ! Et nous n'en étionsqu'à
la découpe des volailles. La nuit finit par tomber
complètement. Nous dûmes calfeutrer toutes les
ouvertures, si bien que personne ne put repartir. Qu'à cela
ne tienne ! À la guerre comme à la
guerre ! On poussa la table et les chaises, on
dédoubla les lits. Les uns couchèrent par trois
ou quatre sur les matelas, les autres sur les sommiers. Quant-aux
jeunes, ils s'allongèrent sur une couverture à
même le parquet. Tout cela dans une ambiance de joie
indescriptible. Après une nuit pratiquement sans sommeil se
bidonnant de cette situation insolite, certains regagnèrent
leur toit dès le lendemain matin ; les autres
restèrent pour finir les reliefs du repas et ne repartirent
que le soir.
Ces moments resteront gravés dans ma mémoire, jusqu'à la fin de ma vie. Malgré cette guerre, ce fut des journées inoubliables et heureuses.
Malheureusement, il faudra attendre le 8 mai 1945 pour voir la fin de la guerre.
Christiane BODIN
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Dernière modification : 2011-05-30 - 19:50:06
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