A la Croisée de l'Anjou, de la Touraine et du Poitou
Châtellerault
Fête de la fédération le 14 juillet 1790
par Jean-Claude Raymond
Table des matières
Le texte présenté ci-dessous provient d'un document dactylographié sur machine à écrire. Je pense qu'il s'agit d'un article prévu pour le journal du Syndicat d'initiative de Châtellerault. En fin d'article on trouve écrit à la main la mention suivante qui doit désigner les auteurs : P-GC. — H. Néaulme. Il n'est pas une première source puisque les auteurs semblent rapporter un texte d'un dénommé Godard qui lui-même semble s'être servi d'un texte de l'abbé Lalanne.
Tandis que 25 délégués de Châtellerault étaient députés à Paris pour représenter le district — voyage de 19 jours maximum, indemnisé forfaitairement 6 livres par jour — la fédération fut organisée pour notre district à Châtellerault. La municipalité ne semblait pas trop enthousiaste, eu égard aux frais occasionnés par les députations à Paris et par la fête locale même. On tergiversa un instant sur la date, on parla de la célébrer le 3 août. Je ne sais pourquoi, mais les citoyens ne 1'entendaient pas ainsi, le 14 juillet fut prise la Bastille et la liberté conquise, le 14 juillet devait se fêter 1'anniversaire.
Ainsi fut fait. Le lieu choisi fut le pré de l'Assesseur, sur la rive gauche de la Vienne, juste en face de la Ville, dont les habitants jouiraient du spectacle sans se déplacer.
Au milieu de la partie la plus large, vis à vis des premiers jardins du faubourg Sainte-Catherine fut érigé 1'autel de la patrie large de 12 pieds long de 8 à sa base et haut de 30 du sol au dôme. On y montait par 12 marches de 8 pouces en arrivant sur son côté sud pour en descendre par le même nombre de marches du côté opposé. Au milieu du dernier gradin est une colonne tronquée à laquelle sont adossés deux écussons, dont l'un représente les armes de la France et l'autre le sceau de l'Assemblée nationale avec ses supports de branches de chêne et son inscription : "La loi le roi". Sur cette colonne est un faisceau d'armes lié par des rubans aux trois couleurs de la nation soutenant la couronne royale. Quatre colonnes décorées d'étoffes des 3 couleurs et dont la base et les chapiteaux, artistement garnis de feuilles de chêne et de fleurs, soutiennent le dôme de l'autel. De ce dôme, tombe sur l'autel un dais donné par le chapitre de cette ville d'étoffe brodée d'or et de soie et garni d'une frange d'or. Quatre courbes,formant élévation pour joindre le milieu du dôme, supportent une couronne civique, le tout toujours garni de feuilles de chêne et de fleurs. Dans chaque angle de soubassement est un myrte formant arbrisseau. On arrive à l'autre par une allée de jeunes chênes et on en sort par une même allée. Chaque allée s'aligne avec l'extrémité de chaque première marche et se prolonge toujours en s'évasant — chaque côté de l'autel est aussi orné d'un jeune chêne. Sur le bord de la rivière sont placés de distance en distance les canons.
Le 13 au soir la fête fut annoncée-par une salve de 4 canons et un carillon général de toutes les églises et communautés.
Le 14 matin nouvelle salve de canons à 5 heures. Les délégations des campagnes arrivent et sont conduites sur la place d'armes par la Garde nationale de la ville. A 9 h 30 toute la troupe se rassemble et prend la place qui lui a été assignée par la voie du sort. A 10 h une salve de canon annonce 1'ordre du départ ; la troupe est dirigée en deux sections — au milieu deux canons sont traînés par des chevaux — un détachement vient prendre à 1'Hôtel de ville les officiers municipaux qui se placent derrière les canons, le drapeau de la fédération accompagné du détachement devant eux.
Monsieur le Maire est en tête — les maires des campagnes occupent la droite et la gauche, ensuite les officiers municipaux de toutes les communes mêlés les uns aux autres, les procureurs de la commune, les secrétaires et trésoriers en se cédant les uns les autres le pas avec la plus grande honnêteté et la plus grande cordialité.
Suivait Monsieur DUBOIS, procureur du roi, député de la Sénéchaussée ici par congé, puis Messieurs les membres du département et ceux du district, ensuite les commissaires qui avaient été chargés des pouvoirs de leurs gardes pour les faire vérifier.
L'autre moitié de la troupe, dont la marche est fermée par 80 volontaires de la ville à la tête desquels en étaient plusieurs de Poitiers, marchait dans le meilleur ordre. Quinze drapeaux dont 4 de la ville et le surplus de la campagne paraissent dispersés par égale distance. La Troupe a suivi la nouvelle rue, de là la grande rue Châteauneuf, la rue du Croissant et de là est descendue sur le pré de l'Assesseur. La tête de la troupe se rangeait autour de l'Autel qu'on en voyait encore sur les ponts. La Troupe, composée de 3000 hommes, formait un grand carré long en laissant 1'autel au milieu. Les collatéraux et les marches de 1'autel étaient garnis d'une garde en uniforme, les officiers municipaux ornés de leurs écharpes à découvert — sans amphithéâtre ni tente, de chaque côté et dans la même direction pour ménager le point de vue — au milieu une troupe d'enfants en uniforme devant lesquels était le drapeau de la fédération avec la musique. La partie du pré au couchant qui forme amphithéâtre naturel était couverte d'une foule innombrable, les ponts, la terrasse du château, le quai formaient un coup d'oeil intéressant ; on était enchanté de voir les religieuses mêlées avec leurs pensionnaires garnir les murs pour participer à cette fête ; mais ce qui flattait encore le plus la vue c'étaient les jardins du faubourg où on voyait au milieu des arbres, une infinité de citoyens qui semblaient placés par gradins et sortir des feuillages qui les couvraient. Tous ces amphithéâtres qui entourent le lieu de la fête semblaient avoir été ménagés par la nature pour un si beau jour ; on se reconnaissait des côtés opposés.
Les deux canons qui suivaient la troupe furent placés à la hauteur du pré — la brigade de la maréchaussée des Ormes réunie à celle de la ville était placée à cheval entre la troupe et 1'autel côté sud ; elle était destinée à entretenir l'ordre, ce qui fut inutile.
Sur les 11 heures, Monsieur LIÈGE, Curé de Vaux et aumônier de la troupe nationale de Châtellerault, accompagné de Monsieur BOISGAULTIER son vicaire, INGRAND curé de Saint-Jacques, RIVIÈRE aumônier de la garde nationale de Savigny et de tout le clergé de cette ville tant séculier que régulier entonna le Veni Creator et la musique de la troupe, à laquelle s'étaient joints des jeunes gens, répétait les versets.
Après le Veni Creator, Monsieur 1'aumônier a prononcé un discours touchant et pathétique. Monsieur BOUIN de Noiré commandant de la garde nationale a fait bénir le drapeau de la garde et a aussi prononcé un discours : Ce drapeau, en taffetas des couleurs nationales est garni d'une belle frange et d'une belle cravate en soie aux trois couleurs ; sur chaque coté sont les armes de la France avec cette inscription « Amor patriae omnia vincit » soutenue par une gerbe de blé entourée d'une faux et d'une araire et les armes de la ville avec 1'inscription « Pro patria et liliis ». Il est décoré d'une cocarde nationale et traversé en croix par un ruban rose ; et sur la ligne transversale et horizontale sont d'un côté : Confédération du District de Châtellerault 14 Juillet 1790 et de l'autre « 1er anniversaire de la régénération française » Les drapeauxbénis, la messe, annoncée par 5 coups de canon et pendant laquelle plusieurs morceaux de musique ont été exécutés, a été célébrée par 1'aumônier. Le procureur de la commune et le maire ont prononcé chacun un discours plein d'énergie et de patriotisme. Puis 3 coups de canon ont annoncé la prestation de serment. Monsieur le Maire a prononcé le serment suivant :
« Nous jurons de rester à jamais fidèles à la nation, à la loi et au roi ; de maintenir de tout notre pouvoir la Constitution décrétée par 1'Assemblée nationale et acceptée par le roi ; de protéger, conformément aux lois, la sûreté des personnes et des propriétés, la libre circulation des grains et des subsistances dans l'intérieur du royaume, et la perception des contributions publiques, sous quelque forme qu'elles existent ; de demeurer unis à tous les Français par les liens indissolubles de la fraternité ».
La troupe et les citoyens, la main élevée et tendue vers l'autel ont répété à haute voix : « Nous le jurons. »
A peine la prestation de serment finie, la joie la plus pure s'est répandue dans tous les cœurs ; des cris mille fois répétés de « Vive la nation, la loi, le roi ! » partaient de toute part ; les chapeaux étaient élevés au bout des fusils et des épées — Épanchement général — le drapeau de la Fédération est porté en triomphe et promené au son du tambour et de la musique autour de la troupe, toujours en bon ordre. Ensuite [un blanc] de la garde nationale apportent sur l'autel de la Patrie leur acte de serment que viennent signer les commissaires. Pendant ce temps, on se cherche, on s'embrasse à l'envi, on se rafraîchit sous les tentes dressées à cet effet au bout du pré.
Une salve de canon se fait entendre et toute la troupe se rallie et reprend ses rangs. Le Te Deum est chanté avec accompagnement de musique et de tirs de canons.
On se rend dans le même ordre au champ de foire. La troupe rangée en cercle, Monsieur le maire de la ville, Monsieur IZAAC maire de Colombiers le doyen des maires et le commandant de la garde allument un feu de joie. Deux canons ont été tirés et suivis d'un carillon général — la musique et les tambours jouant sans arrêt jusqu'à la fin. Enfin on s'est rendu sur la place d'armes. Le maire et les officiers municipaux sont entrés à la mairie où l'on a déposé le drapeau de la fédération et l'acte signé sur l'autel de la patrie. Enfin la troupe a rompu les rangs, s'est dispersée chez les habitants — II était 3 heures.
Sur les 5 heures, les députés des campagnes, la troupe et tous les citoyens se sont de nouveau réunis au pré qui désormais s'appellera le pré de la fédération et de 1'union. C'est la joie la plus vive et la plus pure ; des groupes épars, ça et là, dansaient au son du tambour et de la musique ; le militaire mêlait le prêtre ou le religieux à la danse. On ne connaissait pas de distinction, on ne se souvenait que du titre de citoyen. Des danseurs s'unissaient à d'autres danseurs et malgré la liberté qui faisait l'âme des divertissements, l'harmonie, la décence n'ont cessé d'y régner ; le seul regret c'est que la fin du jour l'empêchât d'en jouir encore. La troupe se tenait dans le meilleur ordre, les commandements étaient exécutés avec la plus grande précision. Chaque détachement était bien commandé et l'on peut dire à la louange des chefs de notre troupe nationale qu'ils ont fait l'admiration de tout le monde par la douceur, la sagacité et la célérité qu'ils ont mises dans leurs mouvements.
Et voilà, cette relation, imaginée par GODARD, est tout à fait conforme au résumé qu'en a donné 1'Abbé Lalanne, 35 ans plus tôt, et se réfère aux documents d'archives c'est évident.
P-GC. — H. Néaulme
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A la Croisée de l'Anjou, de la Touraine et du Poitou vous remercie de votre visite
Dernière modification : 2009-12-06 - 09:49:43
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