A la Croisée de l'Anjou, de la Touraine et du Poitou
Enterrement campagnard vers 1950
et Cousins à la mode de Bretagne
par Jean-Claude Raymond
Table des matières
Le faire-part reproduit ci-dessous est pour Aranei-Orbis l'occasion de traiter deux sujets :
Un faire part de décès se termine par la liste des personnes qui le publient : « Leur époux, gendre, frère, beau-frère, neveu, oncle, petit-neveu, cousin-germain, neveu et oncle à la mode de Bretagne… »
La parenté, neveux et oncles, apparaît deux fois dans la phrase. La première fois, il s'agit d'une parenté réelle. Mais que représnte cette relation neveu et oncle à la mode de Bretagne ?
Dans mon entourage, l'expression à la mode de Bretagne était toujours utilisée avec cousins. Elle désignait pour moi des personnes dont les liens de parenté sont très anciens et dont l'origine se perd dans le temps, voire même quelques fois mal établis. Cela pouvait aussi désigner des personnes qui n'étant pas de la famille participaient aux fêtes ou aux évènements de la vie quotidienne.
Or que nous dit Le Bouquet des expressions imagées [7] de Claude Duneton : « XVIIe à la mode de Bretagne, des parents éloignés que l'on traite en parents proches ».
A cette époque pour se rendre aux enterrements pour peu qu'on n'habitât pas la commune, le moyen de transport le plus courant était encore la voiture hypomobile.
Les chevaux écumants ne pouvaient rivaliser avec nos modernes chevaux vapeurs. Aussi, le voyage pouvait prendre plusieurs heures et dès qu'il ne faisait pas beau temps, le voyage devenaint une véritable expédition, malgré les chaufferettes et les couvertures épaisses qui protégeaient les genoux et les jambes.
L'église non chauffée, la longueur de la cérémonie religieuse n'arrangeaient rien. Aussi, après l'enterrement proprement dit, tous ceux qui avaient fait le déplacement étaient invités à une collation. Il fallait bien reprendre des forces pour affronter le froid et les quelques heures du trajet de retour. Ainsi, la famile, les familiers tels que la domesticité, voisins, se retrouvaient-ils, avec la famille, autour d'une table bien garnie. Au début, on n'entendait que quelques fourchettes dans les assiettes et un chuchotement de commisération partagée.
Un second
temps consistait à philosopher sur la courte vie et à rappeler
les qualités du défunt. On passait ensuite en revue les derniers morts
qu'on venait d'enterrer et que chacun connaissait bien.
« T'as ben connu Joseph ? »
« Lequel ? »
« Pipe-en-Terre ! »
« Ah ! Dam'oui, l'a pas traîné. »
« Oui, à force de fumer comme une locomotive, l'a fini par la
casser, sa pipe. »
« Ben, j'savais pas, dit un autre. Qu'est-ce qu'il a
eu ? »
« Queque chose de pas ben bon qui l'a rongé d'l'intérieur sans
qu'il s'n'aperçoive. »
« Et, pis sa Jeanne qu'est-ce qu'a devint? »
« Ben mon vieux, on l'a voit pus. Je crois ben qu'elle est
partie chez ses enfants. »
« La maison qui qui s'en occupe ? »
« C'est y pas malheureux mourir à c't'âge
là ? »
Quand la revue des derniers morts d'alentour s'épuise, les discussions se tournent irrémédiablement vers les difficultés quotidiennes des vivants - probablement pour que le mort qui écoute ne regrette pas trop amèrement son séjour ici bas : entre les gelées arrivées trop tard, les pluies qui font tout pourrir, les calamités sont nombreuses et tous les ans pires. Même la vache de Julien s'était mise de la partie. Elle imitait les hommes. Il lui fallut l'intervention du vétérinaire pour mettre bas. Vous rendez-vous compte des dépenses - le bénéfice du veau déjà mangé avant qu'il soit né. Si cela continuait on allait manger le cirque ! Certes, il n'y avait pas encore l'Europe agricole mais je ne suis pas sûr, si j'en crois ce qui se disait que ça allait mieux pour cela.
D'un autre côté les femmes échangent les nouvelles de la famille. On se fait rappeler les noms et les liens de parenté de ceux qu'on n'a pas reconnus. Pensez donc, le dernier enterrement remonte déjà à quelques années. Il faut rafraîchir les mémoires. Ceux qu'on avait vus adolescents sont aujourd'hui mariés. Certains ont même des enfants. Puis, il y a ceux qui sont fiancés. On essaye de savoir si la date de mariage est décidée. Il y a toujours quelques bébés nés depuis le dernier enterrement et qu'il faut voir. « Ah ! Qu'est-ce qu'elle ressemble à sa grand-mère Mélanie que j'ai bien connue ». « Vous croyez ? Moi je pense qu'elle a pris du côté des Arbonneau avec ses joues roses et son petit nez. » De toute manière, c'est un vraiment beau bébé dit une troisième. »
Les bébés vont à l'inverse des misères du monde, les uns de plus en plus beaux, les misères de pires en pires.
Et du mort, on en n'entend plus parler. Qu'il repose en paix. Dieu ait son âme.
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A la Croisée de l'Anjou, de la Touraine et du Poitou vous remercie de votre visite
Dernière modification : 2008-01-18 - 14:49:07
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