A la Croisée de l'Anjou, de la Touraine et du Poitou

Sucre à gogo pour les prisonniers
Seconde-Guerre
par Jean-Claude Raymond

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Sucre à gogo pour les prisonniers

Les prisonniers de guerre qui n'avaient pas un grade suffisant devaient travailler. Tel était le cas de Bernard. La plupart du temps, le groupe auquel appartenait Bernard travaillait dans une gare à décharger des wagons de marchandises chargés de denrées alimentaires. C'était un emploi recherché car c'était l'opportunité d'améliorer l'ordinaire des stalags. Par exemple, lorsqu'il y avait des quartiers de bœuf ou de porc, les bouchers se faufilaient entre les quartiers suspendus et ainsi cachés coupaient à loisir les morceaux qui leur convenaient et qu'ils ramenaient au stalag. Le sucre était une denrée rare ce qui n'empêchait pas les arrivages réguliers. Bernard et des prisonniers comme lui participaient au déchargement du précieux sucre. Ce dernier se présentait sous forme de poudre. D'ailleurs encore aujour'hui en Allemagne, le sucre pour la café est présenté sous forme de poudre mise dans des sortes de fioles équipées d'une espèce de bouchon doseur.

Les prisonniers étaient équipés de diables comme j'en ai vus chez mon grand-père boulanger. Une sorte de plateau presque vertical en bois avec deux roues en bas, deux poignées en haut (les cornes du diable) pour le conduire. En bas, le plateau comprend une lame métallique recourbée qu'on passe sous les sacs. Quand on incline le diable la lame passée sous le sac se relève, le sac ne touche plus le sol ; on peut le transporter facilement.

Il n'était pas rare que des sacs ayant glissé soient déchirés à l'ouverture des portes coulissantes des wagons. Ils étaient en papier comme les sacs de chaux de nos jours. Mais au dire du narrateur d'une qualité bien moindre que ce que nous trouvons aujourd'hui. Le sucre à tendance à s'écouler comme le sable sec avec une grande facilité. Les prisonniers en profitaient pour remplir leur poches ce qui contribuaient à améliorer le erzats de café au stalag. Pour surveiller le bon déroulement des opérations, les Allemands se tenaient généralement à l'extérieur des wagons sur le quai de déchargement pour ne pas gêner le va-et-vient des diables poussés par les prisonniers s'ingéniaient à leur montrer combien la présence des surveillants dans les wagons nuisait à la rapidité des déplacements.

Quand le wagon commençait à être vide les surveillants ne pouvaient pas voir ce qui se passait au fond du wagon et comme il y avait plus de chemin à parcourir les rotations s'espaçaient. Certains surveillants exhortaient les prisonniers à aller plus vite avec des schnell retentissants et menaçants. Alors les prisonniers avec leur diable vide prenaient leur élan et fonçaient comme des forcenés vers les sacs. Il suffisait de présenter la lame en coin et le sac était éventré. Le sucre s'écoulait. On faisait appel au surveillant qui ne pouvait que constater les dégâts. Les prisonniers qui avaient montré cette apparente ardeur au travail ne pouvaient que compatir et dans leur pauvre allemand vociféraient des injures contre ceux qui avaient chargés les sacs aussi maladroitement en se moquant et imitant les Allemands. Le surveillant ressorti, les poches se remplissaient de sucre.

Un jour, allez savoir pourquoi le wagon de Bernard comportait un nombre impressionnant de sacs éventrés dès l'arrivée. On marchait sur le sucre comme sur le sable d'une plage. La progression des diables était difficile. Il fallut aller chercher des pelles pour évacuer le plus gros. C'était la pagaye. Bernard et ses copains pensèrent qu'il était dommage de ne pas profiter de la situation pour récupérer le plus de sucre possible. L'un d'eux eut une idée géniale. A cette époque le pantalon genre golf était répandu : jambes amples resserrées au dessus du mollet. Ceux qui en avaient décousurent leur fond de poches et remplirent carrément les jambes de pantalon. Après le travail, il fallait rentrer à pied au stalag. Vous imaginez facilement que les pantalons ainsi chargés ne favorisent pas la marche à pied. Nos compères ont dû marcher moins vite qu'à l'habitude. Au loin, ils virent une patrouille allemande qui arrivait vers eux et qu'ils n'avaient pas l'habitude de rencontrer à cette heure là. Ils décidèrent de se camoufler sous un petit pont qui enjambait une sorte de petit ruisseau. Pour ne pas être vus, ils durent descendre dans l'eau. La patrouille passa au-dessus de leur tête sans rien remarquer. Quand ils purent ressortir de l'eau, une sorte de liqueur collante coulait dans leurs chaussettes et leurs chaussures.

Quand ils arrivèrent au stalag, ils se déshabillèrent pour récupérer le sucre restant. La partie qui se trouvait la plus haute n'avait pas pris l'humidité et fut récupérer rapidement, mais la partie qui avait pris l'eau s'était solidifiée. Il paraît que ce fut cause de grande joie au stalag de voir les copains s'épilant en tirant les bouts de sucre collé à leurs jambes. Mais, pénurie oblige tout fut récupéré et quand les arrivages de sucre furent rares, ils furent heureux de sortir les bouts de sucre pieusement conservés. Et, si l'on parle de cheveux sur la soupe, là on put parler de poils dans le café.

Jean-Claude Raymond
d'après M. Bourgeois, prisonnier de guerre

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Dernière modification : 2006-06-11 - 06:23:39

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