Les
étudiants écoutaient dans le silence un
professeur, qui blessé à la gorge lors de la
Première Guerre, avait de la peine à parler,
lorsqu'ils entendirent la course rapide d’un homme dans les
couloirs ; puis quelques secondes plus tard, la course moins rapide et
plus bruyante de plusieurs personnes. La porte de
l’amphithéâtre s’ouvrit
brusquement des individus, revolvers aux poings, essoufflés
braquaient leurs armes sur le professeur. Le plus petit
d’entre eux qui était aussi le premier, menaçant, brandissait un lourd revolver à bout de
bras. Après la course qu’il venait de faire et à cause de sa
constitution chétive et sa main
tremblait sous le poids de l’arme. L’air autoritaire et soupçonneux, il
demanda au professeur : « Vous
n’avez pas vu quelqu’un ? » Le professeur resta
sans voix quelques instants. Les étudiants crurent alors que
la menace des armes l’avait pétrifié.
Mais le professeur qui savait bien de quoi il s’agissait
hocha la tête ce qu’il faisait naturellement quand
il avait des difficultés à prononcer les
premières syllabes d’une phrase. Mais, ici le tic
dura plus longtemps qu’à l’habitude.
Manifestement, il prenait son temps. Il fit claquer sa langue ce qu'il
faisait aussi naturellement et articula sans qu’aucun son ne
sortît de sa gorge. Puis de sa voix
éraillée, il répondit :
« C’est que j’en ai vu des gens
depuis ce matin. » Probablement, cette
scène dut conforter celui qui semblait être le
chef dans son opinion que tous les
intellectuels étaient des renégats. Le nabot fit
demi-tour en claquant des talons comme savaient le faire les officiers
nazis. La soldatesque évacua
l’amphithéâtre. Les étudiants
se regardèrent. Un silence respectueux et reconnaissant
s’établit. Le professeur le rompit de ces mots
inachevés : « Quelques fois nos
propres défauts… » Puis il
reprit son cours comme si rien ne s'était passé.
L’étudiant poursuivi eut, ce jour là,
le temps de fuir et ne fut pas pris.
Jean-Claude Raymond
d'après mon père Maurice Raymond qui fut témoin de la scène.
A la mémoire de Jean et Arsène Lambert
Après l'évocation de cette arrestation
manquée, on ne peut pas ne pas rappeler
l'arrestation effectuée le 17 février 1944 au
lycée Henri IV à
Poitiers de Jean Lambert,
âgé
alors de 20 ans, dans des circonstances identiques et
peut-être par les mêmes personnes. Lui et son
père ont
payé de leur vie leur engagement résistant. Vous
trouverez des détails
sur le site
qui leur est consacré.
Pour honorer leur mémoire : • Le collège
Arsène Lambert à Lencloître (France- Vienne) • La rue Arsène et
Jean Lambert à Châtellerault (France-Vienne) • La rue
Arsène-Lambert (nom attribué en 1947) à Châtellerault (France-Vienne) • La rue Arsène-Lambert à Lencloître (France- Vienne) • La stèle élevée dans
l'école Henri-Denard à
Châtellerault (France-Vienne)