A la Croisée de l'Anjou, de la Touraine et du Poitou
Manufacture d'armes
à Châtellerault
par Jean-Claude Raymond
Table des matières
Jusqu'à la création de la manufacture de Châtellerault, les manufactures d'armes se trouvaient dans les régions frontalières du Nord et de l'Est, près des zones de combat. Il a semblé judicieux de fonder une manufacture moins exposée au Sud de la Loire. Le site de Châtellerault fut retenu en 1817 car cette région possédait une main d'œuvre qualifiée de couteliers et le débit de la Vienne était utile pour la trempe de l'acier. Le confluent de la Vienne et de l'Envigne fut donc choisi.
… Après nos désastres de 1815, la France sentit la nécessité d'une manufacture d'armes centrale, couverte contre l'invasion étrangère par la Loire, le Cher, l'Indre et même la Vienne. La municipalité de la ville offrait de fournir à ses frais le terrain nécessaire à la construction de l'usine, et les nombreux couteliers habitant le pays semblaient devoir fournir un recrutement facile.
En 1817, le colonel d'artillerie Cotti vint examiner les offres du conseil municipal et désigna l'emplacement actuel, situé sur la rive gauche de la Vienne, à l'extrémité du faubourg Châteauneuf, limité au midi par l'Auvigne [Envigne], petite rivière, et à l'ouest par la grande route de Bordeaux. Après divers pourparlers, onze hectares furent accordés, et on se mit immédiatement à étudier l'établissement d'un barrage au travers de la Vienne. Une première commande de sabres, de pelles et de haches est faite le 15 mai 1819 [1819-05-15], sous la surveillance d'officiers et d'ouvriers venus de Kligenthal. Cette première expérience ne réussit pas, les ouvriers demandèrent un prix trop élevé, et ne purent rien faire avec leur meule mue à bras. L'ordonnance [royale] qui détermine la création définitive de la manufacture est du 14 juillet 1821 [1821-07-21] [pour la fabrication d'armes blanches],
Julien Turgan
in Les grandes usines: études industrielles en France et à l'étranger,
volume 5, 1865.
Les travaux concernant le barrage prirent du retard et débutèrent le 1821-08-13. Le ministre de la guerre fixa à six mille le nombre de sabres à fabriquer annuellement. L'ouvrage barre la Vienne sur 105 m, comprenant un déversoir de 73 m, donnant 2,5 m d'eau à l'étiage. Un canal de 250 m de long, sur 25 m de large, donnant une profondeur d'eau de 2 m à l'étiage. La terre provenant du creusement est utilisée pour constituer des tertres et placer les futures constructions à l'abri des crues et protéger les roues à aubes. Ces travaux se terminèrent en 1825.
La construction des bâtiments commencèrent seulement alors : un bâtiment administratif et six bâtiments ateliers. Au début de 1830, il est décidé de fabriquer des fusils et la construction de six nouveaux bâtiments est lancée. Le recrutement restait insuffisant malgré les incitations. En 1831, le gouvernement recherhce des adjudicataires. L'entreprise des frères Pichet trouva 89 ouvriers spécialisés dans les armes à feu, en quelques mois. La Manu comprenait alors 289 ouvriers dont 164 étaient de la région. En janvier 1833, la Manu comptait 516 ouvriers, répartis par moitié entre les armes à feu et les armes blanches. L'entreprise gérait les relations avec les ouvriers, organisation dutravail, paiement des salaires, approvisionnement en matières premières. La Manufacture voit s'élever de nouveaux bâtiments, surélèvement de bâtiments existant pour y loger les machines les plus légères qui deviennent de plus en plus nombreuses et de plus en plus utilisées. On craint alors que la force hydraulique fasse défaut malgré la mise en place de turbines en lieu et place des roues à aube. L'année 1840 voit l'électrification, l'introduction du gaz et la construction d'une ligne de chemin de fer qui exista jusqu'à la fermeture de la Manufacture. Elle arrivait dans l'enceinte auprès du pont sur l'Envigne en traversant la route nationale 10 d'alors.
A partir de 1850, la fabrication d'armes à feu débuta et remplaça celle des armes blanches. La construction des bâtiments administratifs fut dirigée par les architectes Ledard et Guillebon. La fabrication des armes blanches et des armes à feu sont séparées. Ni les techniques ni les matériaux ne sont compatibles.
Des études scientifiques furent menées en 1848 et 1856 :
Ceci n'empêcha pas que la plupart des ouvriers travaillant aux forges devenaient sourds et ceci au moins jusque dans les années 1950.
Les ouvriers de la Manufacture créaient une société coopérative le 1889-01-09. Elle se dénommait Société coopérative de consommation de Châtellerault. Les ouvriers pouvaient y trouver des articles alimentaires boulangerie, boucherie, charcuterie, fabrique de choucroute, des articles de ménage, du charbon, des tissus. Elle poursuivit son activité jusqu 'en 1953, date à laquelle elle fut reprise par les magasins COOP (Coopérative régionale de Saintes).
Le général Boulanger avait amorcé des réformes considérables : l'introduction du fusil Lebel et l'emploi des obus à la mélinite [acide picrique]. Je l'y avais beaucoup poussé en 1886, mais les lenteurs de la mise en train, les changements successifs de ministres, les préoccupations intérieures n'avaient pas permis une rapide fabrication. A la date de mon installation, les manufactures produisaient trois cents fusils par jour; à ce compte, il eût fallu vingt ans pour doter notre infanterie. L'ayant reconnu, je fus obsédé par deux idées : décupler la rapidité de notre fabrication en armes et projectiles; amener, s'il se pouvait, l'alliance avec la Russie.
Charles de Freycinet
in Souvenirs — 1878-1893
Volume 2, Chapitre XII
Progrès et déclin du boulangisme. — Le Centenaire de la Révolution Française. — Réformes militaires
Entre 1886 et 1891, la Manu fabrique le fusil Lebel. On ajoute ou modifie alors les bâtiments originaux. Entre 1891 et 1895, elle fournit 500 000 fusils Mosine au tsar. A cette époque, l'organisation du travail était guidée par la théorie du capitaine Ply qui était très proche de celle de Taylor qui devait être formulée plus tard.
En 1916, 7 230 ouvriers travaillent à la manufacture.
De 1939 à 1940, la manufacture passe de 1 500 à 4 500.
Le 1940-06-19, l'arrivée de l'armée allemande étant imminente, la fabrication est stoppée et le personnel civil est licencié. Licenciement collectif des femmes le 1940-06-20. Le 1940-06-22, les Allemands l'occupent la manufacture déclarée « prise de guerre » le 1940-06-23. Ils la réouvrent le 1940-07-22. Elle est alors Wehmachtseiggenerbetrieb. Sperling, ancien directeur d'une entreprise à Lübeck, mandataire de la société Bernhard Berghaus, fut nommé Deutscher Treuhänder. On la dénomme MNC — Maufacture nationale de Châtellerault.
L'établissement dépendait désormais d'une firme privée, à laquelle le gouvernement allemand avait confié l'exploitation. Cependant, la manufacture demeurait sous la direction de 'lingénieur français Lucien Vergnaud, responsable devant l'autorité allemande. Une direction française exploitait donc l'établissement sous l'autorité d'une firme privée allemande qui contractait des commandes exclusives. La MAC était attractive pour les autorités allemandes car, après la refonte d'octobre 1939, elle était considérée comme un site industriel viable, doté d'un noyau important d'ouvriers qualifiés…
Christian Chevandier et Jean-Claude Daumas
in Travailler dans les entreprises sous l'Occupation
page 280Actes du Ve colloque du GDR du CNRS
Les entreprises françaises sous l'Occupation",
Dijon, les 8 et 9 juin 2006-05-8 et 9 et Besançon, les 2006-10-12 et 13
Éditions Presses Universitaire Franche-Comté, 2007
ISBN 2848672110, 9782848672113, 523 pages,
Les Allemands s'emparent de 258 machines, les plus modernes, et font tourner l'usine au maximum de ses posibilités. Les communistes de la CGT sont exclus et d'une manière générale les militants syndicaux. les autotités allemandes demandent que lui soient communiqués les noms des ouvriers révoqués avant le Front populaire et réintégrés ensuite. Les ouvriers semblent « traîner les pieds ». La direction allemande fait obligation de marcher à 5 km/h. Une certaine résistance s'organise, on parle « d'embrasement » à la manufacture de Châtellerault, le 1942-11-26 auquel s'associèrent les manuchardes. Entre avril 1941 et mars 1944, la manufacture compta jusqu'à 600 femmes. Six manuchardes auraient été arrêtées. Nous avons retrouvé les noms suivants :
Les ouvriers de la Manufacture d'armement de Châtellerault partent au STO en conspuant leur directeur…
Christian Chevandier et Jean-Claude Daumas
in Travailler dans les entreprises sous l'Occupation
page95Actes du Ve colloque du GDR du CNRS
Les entreprises françaises sous l'Occupation",
Dijon, les 8 et 9 juin 2006-05-8 et 9 et Besançon, les 2006-10-12 et 13
Éditions Presses Universitaire Franche-Comté, 2007
ISBN 2848672110, 9782848672113, 523 pages,
Pendant l'occupation, outre les pièces de fusil à partir de 1942, la Manufacture produit une remorque gazogène sous la marque Rocher MNC, une machine à couper le tabac et un atelier de carbonisation du bois.
Après la Libération, le 1944-09-07, le personnel remonte à 2 500 membres. La question du comportement d'un certain nombre de dirigeants pendant l'Occupation se pose. Cas de la Mac (Manufacture d'armes de Châtellerault) :
Le sous-directeur de la MAC, l'ingénieur général Brisorgueil, est nommé en remplacement de son supérieur par le groupe « FF1 manufacture », et confirmé par la direction des UME [usines mécanique de l'état] toujours aux affaires. En revanche, le directeur ainsi destitué en 1944 n'avait pas hésité à faire apposer le 26 octobre 1942 [1942-10-26] un avis faisant l'éloge de l'Allemagne en lutte pour « l'unité, la liberté et le bien-être de l'Europe » et contre « l'ennemi de toute civilisation, contre le bolchevismc, lequel, sans le courage et la puissance de la Wehrmacht eut submergé le continent européen tout entier [...] ».
Christian Chevandier et Jean-Claude Daumas
in Travailler dans les entreprises sous l'Occupation
Actes du Ve colloque du GDR du CNRS
Les entreprises françaises sous l'Occupation",
Dijon, les 8 et 9 juin 2006-05-8 et 9 et Besançon, les 2006-10-12 et 13
Éditions Presses Universitaire Franche-Comté, 2007
ISBN 2848672110, 9782848672113, 523 pages
Les Alliés adaptent le système allemand et exploitent les compétences acquises par les femmes. La Manufacture contribue à armer les combattants luttant contre la poche de La Rochelle tenue par les Allemands.
A partir de 1950, la hiérarchie militaire reprend les arsenaux en mains d'où des révocations touchant principalement les militants communistes résistants.
15660. — M. Bosgher demande à M. le ministre des armées armées s ' il est exact qu'il compte faire procéder sous peu à la fermeture de la manufacture d'armes de Chàtelerault (Vieune)…
Réponse. — Dès 1961, le Gouvernement a décidé la conversion d 'un certain nombre d'établissements des armées représentant un potentiel excédentaire. Parmi ces établissements figure la Manufacture d'armes de Châtellerault. Pour l'exécution de cette décision, le ministre des armées a recherché des solutions qui, tout en laissant dans le patrimoine de l'État les installations immobilières des établissements concernés, permettent de donner à leurs personnels des garanties de réemploi, de rémunération et d'avantages sociaux équivalentes à celles dont ils bénéficient au service des armées . C'est ainsi qu'ont été installés à Châtellerault, dans une partie des locaux de la manufacture, d'une part, la Société française d 'équipements pour la navigation aérienne (S.F.E.N.A.), société d'économie mixte, et, d'autre part, le dépôt commun du matériel Hawk géré par le service du matériel de l 'armée de terre . L' implantation de ces deux unités a permis de créer à ce jour à Châtellerault 608 emplois dont 473 sont occupés par d'anciens personnels de la manufacture. De son côté, la Société HispanoSuiza, devant décentraliser ses installations parisiennes, a choisi de s 'implanter à Châtellerault ; elle a créé une filiale, la Société châtelleraudaise de travaux aéronautiques (Sochata) qui construit une usine dans la zone industrielle de Châtellerault. A l'occasion de cette décentralisation le ministre des armées a obtenu de la Sochata l 'engagement de recruter en priorité parmi les personnels encore en service à la manufacture et volontaires pour entrer dans cette société, en garantissant à ces personnels des rémunérations et des avantages sociaux équivalents à ceux dont ils bénéficient à la manufacture et en leur offrant des possibilités de formation et d'adaptation aux techniques aéronautiques. Les activités de la Société HispanoSuiza transférées à la Sochata ne portent pas seulement sur des commandes, militaires, mais aussi sur des commandes civiles et d'autres destinées à l'étranger. En définitive, l'opération visée par l'honorable parlementaire ne consiste pas en une installation de la Sochata dans le domaine même de la manufacture, mais en une construction nouvelle dans une zone industrielle aménagée par la municipalité, et concerne par ailleurs une activité de réparations de machines qui ne sont pas seulement destinées aux armées, mais encore au secteur civil et à l'étranger. Le ministre des armées continue en outre, à se préoccuper de créer à Châtellerault un nombre d'emplois suffisant pour permettre le reclassement des personnels en service à la manufacture.
Journal officiel de la République Française
Débats parlementaires
Assemblées nationales — 3e séance du 1965-12-22
Réponses des ministres aux questions écrites
La manufacture fut fermée le 1968-11-01. Les bâtiments ont reçu de nouvelles affectations. On y trouve un musée de l'automobile, le centre des archives des armées, une patinoire…
La Manufacture, dont la sirène donnait le signal de l'embauche et de la débauche, retentissait quatre fois par jour. La journée continue n'était pas de mise alors. On l'entendait d'un bout à l'autre de la ville. L'intensité du son entendu donnait une indication sur la direction des vents. Les termes embauche et débauche n'avaient pas à Châtellerault les sens communs que donnent les dictionnaires. Ils signifiaient respectivement début du travail et fin du travail.
Dans les années 1950-1960, à l'heure de l'embauche, le flot des ouvriers à bicyclette puis en Vélosolex convergeait vers les portes de la Manu où les ouvriers se massaient devant les portes closes de l'ouverture des portes. On voyait sortir, des bars qui bordaient la rue, une nuée humaine qui sautait sur les bicyclettes pour faire les quelques dizaines de mètres qui les séparaient des portes.
Lors de la débauche, le scénario était à la fois identique et inverse. Les ouvriers massés à l'intérieur de la cour de la manufacture attendaient la sirène qui allait donner le signal libérateur d'ouverture des portes. La marée humaine se répandait dans la rue. Parmi les plus pressés se trouvaient ceux qui s'engouffraient dans les bars qu'ils avaient abandonnés en hâte quelques heures auparavant. Tout conducteur d'automobile avisé avait intérêt à attendre que le flot diminuât pour pouvoir espérer progresser.
La Manufacture impériale pendant le Second Empire
Cette gravure est intéressante car elle montre les roues à aubes de chaque côté du bâtiment équipé d'une cheminée. Plus tard, elles furent remplacées ensuite par des turbines. Cela doit donner une idée de l'aspect de la manufacture à ses débuts.
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Dernière modification : 2013-12-08 - 09:42:10
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